Marre de ce boulot ?

Pourquoi certains aujourd’hui continuent de créer des lieux de travail autogérés ? Au départ, il y a toujours une critique du fonctionnement des entreprises traditionnelles.
Un système de trois facteurs apparaît rapidement injuste, inefficace, voire absurde : l’inégalité (de l’argent), la
hiérarchie (du pouvoir), la division du travail (de la compétence, de la spécialisation, de l’efficacité).

Pourquoi certains aujourd’hui continuent de créer des lieux de travail autogérés ? Au départ, il y a toujours une critique du fonctionnement des entreprises traditionnelles.
Un système de trois facteurs apparaît rapidement injuste, inefficace, voire absurde : l’inégalité (de l’argent), la
hiérarchie (du pouvoir), la division du travail (de la compétence, de la spécialisation, de l’efficacité).

Une critique de l’entreprise traditionnelle

L’entreprise traditionnelle prétend fonctionner selon des critères « pratiques », « rationnels », comme issus de la nature des choses et des êtres. Les êtres humains ne sont pas égaux, n’ont pas les mêmes capacités et le fonctionnement d’un lieu de travail ne peut que refléter ces inégalités que l’on qualifiera pudiquement de « différences ». Il faut donc que quelqu’un organise ce lieu de travail, assigne des tâches en fonction des compétences de chacun, veille à leur exécution et rémunère chacun en fonction du service rendu.
En réalité, on constate rapidement que personne n’est satisfait de la place qu’il occupe dans l’organisation du travail, de son niveau hiérarchique et de salaire. Personne
n’est satisfait non plus de son supérieur ou de son inférieur hiérarchique et de leur niveau de rémunération.



 Je travaille plus (ou mieux) que X et on est
payé pareil

 Je suis moins bien payé que Y alors qu’on fait
le même travail

 Mon supérieur hiérarchique ne connaît pas
le travail à faire

 Il (elle) n’occupe son poste que grâce à son
diplôme (ou par piston familial, sexuel, etc.)

 Il (elle) est payé(e) à rien faire

 Si on faisait comme je dis, ça fonctionnerait
beaucoup mieux

 S’il (elle) n’était pas là, ça fonctionnerait aussi
bien, voire mieux

 Avec tout ce que je lui rapporte, il pourrait
mieux me payer

 Ils m’ont licencié les salauds

 Regardez les chiffres ! Si on ne réduit pas les
effectifs on est obligé de fermer

 Si je l’augmente, je vais être obligé d’augmenter
les autres

 Si je les augmente, j’ai plus qu’à mettre la
clef sous la porte

 Ils (elles) ne comprennent pas la difficulté de
gérer une entreprise, etc.

Qui n’a jamais entendu ou prononcé ce type d’argument ? Il est d’ailleurs difficile d’échapper à ce système de critique généralisée puisque, pour améliorer son sort, il est indispensable de faire ressortir l’inadéquation de sa position au regard de son activité, de son rôle et de sa compétence, ce qui passe inévitablement par la critique des autres.

Une incapacité explicative

Ajoutons à cette insatisfaction générale le fait qu’aucune réponse satisfaisante n’est apportée dès qu’une question précise est posée sur les fondements «naturels » du management d’entreprise.
Ainsi pourquoi payer Monsieur X 20 % de plus que Monsieur Y et pas 15 % ou 25% ? Pourquoi une échelle des salaires
dite « raisonnable » s’étalonne de 1 à 20 et pas de 1 à 2 ou de 1 à 200 ? Malgré l’abondante production de guide en management, aucun critère rationnel n’a encore été avancé pour pouvoir estimer correctement le rendement d’un salarié
et encore moins pour déterminer le niveau de salaire « exact » correspondant à ses capacités. Difficile aussi d’obtenir une réponse satisfaisante sur les qualités objectives qui justifient que X est toujours plus apte que Y pour organiser le travail ou prendre les décisions. L’organisation du temps de travail est aussi l’occasion
de se voir asséner des « évidences » du style : « il est plus facile de s’organiser sur des semaines de 39 h que
de 35 h ». Et pourquoi pas des semaines de 47h3/4 ou de 26h1/3 ?
Le paradoxe réside dans le fait que les critères prétendument « rationnels », «inévitables », d’inégalité, de hiérarchie et de division défendus dans les entreprises,
ne sont en fait reconnus par personne et que la « raison » ne puisse se faire entendre à aucun point de vue. Car en
réalité, gérer une entreprise traditionnelle c’est gérer en permanence de la compétition et des rapports de force
internes. Ruse de la raison, les idéologues de l’entreprise prétendent que c’est justement là que réside son efficacité.
Rien ne prouve dans les faits que ce système fondé sur l’inégalité et l’intérêt individuel soit plus efficace.

Un renversement des valeurs… pas si renversant

C’est à un complet renversement des valeurs qu’invitent ceux qui fonctionnent en autogestion. Nous ne sommes ni plus ni moins idéologiques que les tenants de l’entreprise traditionnelle. Simplement, nos a priori idéologiques sont différents. Étant donnés l’impossibilité de résoudre
rationnellement les questions que posent l’inégalité, la hiérarchie et la division, et l’insatisfaction et les conflits qui y sont liés, pourquoi ne pas y répondre radicalement une fois pour toutes et voir ce qui se passe ? Pourquoi ne pas faire le pari de l’égalité, de l’absence de hiérarchie et de division, de la coopération, pour voir si des difficultés surgissent et sont plus insurmontables que les précédentes ?
Après tout, nous avons déjà l’expérience de ce type de fonctionnement dans d’autres domaines et même si nous ne
les jugeons pas parfaits, ils fonctionnent. Dans nos systèmes démocratiques, les citoyens sont égaux. Du moins en principe. Et ce principe n’est pas totalement sans effets. Le bulletin de vote d’un chômeur sans diplôme vaut celui d’un énarque. Cela irrite d’ailleurs les experts en tout genre qui pensent tout bas que le pouvoir devrait leur être dévolu mais qui sont tout de même obligés de faire avec.