Cette question de la compétence technique, source de pouvoir, se pose dans le travail quotidien. Si telle ou telle tâche nécessite des qualifications particulières, il peut paraître plus simple de laisser une personne s’y former et s’y consacrer. Mais la spécialisation peut conduire à ce que chacun ne s’occupe plus que de son secteur de travail particulier : à moi le commercial, à toi la compta, à elle la maintenance technique, à lui le secrétariat, à vous la production, etc. Une sorte d’entente entre “ chefs ” de secteur.
Pourquoi pas. Mais il y a alors un fort risque à voir la gestion collective s’appliquer non pas à l’ensemble de l’activité de la structure mais seulement aux questions
les plus transversales. Il peut en résulter un désinvestissement pour la prise en charge de l’ensemble de l’activité, chacun se retranchant derrière son « coeur de compétence », sorte de territoire symbolique au-delà duquel les autres n’auraient rien à redire. Chacun ayant recréé son espace de pouvoir personnel.
Sans tomber dans l’excès inverse, il faut tout de même s’efforcer de développer une prise en charge collective des différentes tâches à effectuer. Ce qui implique que chacun s’intéresse à tout et se forme à toutes les tâches nécessaires au fonctionnement de l’entreprise, à la comptabilité comme à la production. Même si cela n’est pas toujours réalisable (les limites individuelles empêchent souvent une polyvalence totale et ce d’autant plus que l’activité développée exige des compétences), il faut pourtant le plus possible essayer de diffuser par la formation et le travail à plusieurs, la maîtrise des enjeux de chaque tâche. Sans que chaque geste ou microdécision soit soumis à l’approbation des autres, il s’agit d’ouvrir et de transférer au collectif ses propres compétences et de prendre en compte les remarques formulées sur la tâche à accomplir. C’est donc un souci et
une pratique permanents qu’il faut avoir afin d’éviter que ne se dessine une hiérarchie insidieuse derrière la hiérarchie des compétences.
Et la valorisation individuelle dans tout ça ?
Privilégier le travail collectif, favoriser la polyvalence et la diffusion voire l’homogénéisation des compétences n’est pas sans poser des problèmes de rapport au travail. Le travail, les compétences professionnelles sont souvent constitutifs de l’identité de la personne, du sentiment
qu’a chacun de sa valeur et de son utilité.
Dès lors que le résultat de son travail n’est plus directement attribué au salarié mais est le fruit du collectif, comment s’y retrouver, se rassurer ? Les individus ne doivent pas se sentir niés par le collectif
ou le poids des décisions communes. Il s’agit là d’un équilibre délicat qui passe en grande partie par la valorisation que les membres de la structure se prodiguent
les uns les autres. Pour rassurer l’autre, faire en sorte qu’il s’épanouisse et donne le meilleur de lui-même, qu’il ose s’exprimer et prendre des décisions, il faut l’aider à acquérir les compétences nécessaires à sa polyvalence et à sa prise en charge du collectif mais aussi souligner ses apports. Ce n’est que dans la reconnaissance et la confiance mutuelle que pourront se gérer les doutes et les
angoisses des uns et des autres quant à leur utilité.