Comment fait-on ?
On fait. Do it pour reprendre le slogan de Jerry Rubin honteusement récupéré par Nike. On décide la suppression immédiate et complète de toute inégalité, de toute hiérarchie et de toute division. Et l’on voit. Une sorte d’An 01 aussi.
Il n’y a a priori aucune raison d’envisager une « période de transition » qui aurait pour but que chacun s’adapte à la situation nouvelle. Il peut sembler que l’abandon de rémunérations élevées pour certains, la prise de responsabilité très lourde pour d’autres nécessiteraient une évolution lente. On commencerait par une réduction de la hiérarchie des salaires, l’élection du patron, etc. En fait, le risque est grand d’un rapide retour en arrière, car, à la moindre difficulté, chacun est susceptible de se replier sur ses positions antérieures. Nous choisissons plutôt de “ brûler nos vaisseaux ”, de se jeter à l’eau. Mais après tout, le suffrage universel a mis plus de 150 ans pour être effectif en France et le suffrage censitaire puis masculin n’ont pas entraîné de retour en arrière. Donc, chacun fait comme il veut, il peut, il sent.
L’égalité des rémunérations, l’absence de hiérarchie et de division du travail ne suppriment pas toutes les questions qui se posent dans les entreprises traditionnelles. Simplement, elles contraignent à les aborder autrement. Fondamentalement, la question est : puisque par principe nous sommes tous strictement égaux, comment faire pour que chacun apporte le mieux qu’il peut ? C’est-à-dire travaille du mieux qu’il peut et prend en charge l’ensemble du mieux qu’il peut. Sachant que l’on a comme outils que la coopération, la confiance et la persuasion.
On verra rapidement que ce n’est pas plus difficile et traumatisant et pas moins efficace que la compétition et le rapport de force. Et ni plus “ idéologique ” ni
moins “ pragmatique ”.
Dans un groupe autogéré, il faut que chacun puisse participer de la même manière à la prise de décision, sans hiérarchie aucune. Mais il ne suffit pas de décréter la disparition du chef pour que le pouvoir disparaisse. Il s’agit donc d’organiser concrètement l’égalité de tous. Gérer une entreprise autogérée c’est gérer de la coopération et de la confiance.
Faut-il écrire ses principes ?
Il ne s’agit pas bien sûr de sombrer dans un formalisme excessif. D’autant plus qu’il ne protège que de peu de chose. Se réfugier, en cas de désaccord important, derrière des statuts qui ont tout prévu ne résout rien.Tout juste cela peut-il et doit-il contraindre à trouver une solution collective.
Pour autant, fixer clairement les règles de base du fonctionnement de manière à ce qu’elles soient compréhensibles et sans ambiguïté pour tous est indispensable. Que ces règles soient écrites ou pas
importe peu. Il suffit qu’elles soient suffisamment claires pour pouvoir être écrites. Ce n’est qu’au niveau des modalités plus concrètes qu’une certaine faculté
d’adaptation peut être nécessaire.
Mais il n’est pas plus mal que, même si cela peut être modifié ou « souplement» appliqué, cela soit tout à fait clair donc« écrivable ».
Le fonctionnement autogéré est-il plus important que ce
que l’on met en oeuvre ? Jusqu’où aller dans l’autogestion ?
Tout dépend du projet. S’il s’agit d’abord d’une envie autogestionnaire, le choix de l’activité économique dans une certaine mesure importe peu. Seul compte sa viabilité et son organisation en adéquation avec un fonctionnement
autogéré. En revanche, il peut arriver que le fonctionnement autogéré ne soit que le corollaire ou une envie secondaire annexée à un projet d’un autre ordre : militantisme politique, action humanitaire, culturelle, projet de sauvegarde de l’environnement, de développement
local, de travail social, etc. Dès lors toutes les gradations sont possibles dans le refus du pouvoir et des hiérarchies (des fonctions, des salaires, des compétences, du capital, etc.). L’autogestion n’est exclusive d’aucune action ou revendication autre et porte en lui des fondements politiques qui sont déjà suffisamment ambitieux et révolutionnaire pour suffire à remplir son militantisme.