Est-il utile de « réévaluer » le point de vue de Marx et Engels sur la coopération autogérée ? Pourquoi pas. Est-ce possible ? C’est moins sûr.
L’actualité du sujet en France
Le recueil des textes de Marx et Engels portant sur la thématique indiquée dans le titre est précédé d’une présentation de Pierre Cours-Salies et Pierre Zarka. Cette dernière est pour une bonne part consacrée à l’actualité de la question autogestionnaire et aux nombreuses expériences d’entreprises transformées en coopératives aujourd’hui en France, de Ceralep à Fralib. C’est toujours ça de pris.
Un sympathique texte du jeune Engels
Quand à la « réévaluation » (réhabilitation?) de Marx et Engels, on peut être un peu déçu. D’abord, les textes portant sur les projets et expériences coopératives de leur temps sont peu nombreux. Il est vrai que les coopératives n’apparaissent que dans le sous-titre de l’ouvrage et que la grande question est celle du titre, Propriété et expropriations. Certes, les deux questions ont partie liée, mais si on s’intéresse surtout à l’autogestion, c’est un peu court.
Un seul texte présente de manière longue et détaillée des expériences coopératives de manière très positive. On notera que c’est un texte d’Engels, toujours moins dogmatique et plus intéressé par le concret que son compère. Qui plus est, c’est un texte de jeunesse (il a 25 ans quand il l’écrit en 1845), avant même que le marxisme soit vraiment élaboré. Ce texte ne manque d’ailleurs pas d’une certaine naïveté puisque le plus grand nombre d’expériences décrites sont celles de sectes religieuses aux États-Unis (type Quakers par exemple). Certes Engels ironise sur leurs croyances, mais il ne pense pas pour autant à en tirer des conséquences sur leurs pratiques coopératives.
Une illustration, pas une solution
Qu’en est-il une fois que Marx a plus complètement élaboré sa théorie ? Il continue à reconnaître un grand mérite aux coopératives autogérées, celui de montrer en pratique qu’on peut se passer des patrons et des capitalistes. Ce qui est très bien et très vrai. Mais il semble bien qu’il ne s’agit que d’illustrer ce qui est devenu l’analyse globale marxiste : le développement inexorable des forces productives, après avoir rendu nécessaires le capitalisme et la bourgeoisie, rend maintenant (on est au milieu du XIXe) inutile, et même néfaste pour la continuation de ce développement, l’existence des capitalistes. L’existence et la réussite des coopératives ne sont là que pour montrer la justesse de cette analyse sur le « sens de l’histoire ».
Mais pour Marx, les mérites des coopératives s’arrêtent là. Ce n’est certainement pas par l’extension du modèle coopératif que la société se transformera. On entre alors dans le débat, toujours en cours, sur la prise du pouvoir, sur la conquête de l’État, sa destruction et à quelle échéance.
On n’insistera pas sur le fait que 150 ans plus tard les capitalistes ont montré leur capacité à encadrer le développement des forces productives…
Marx s’en foutait probablement un peu
Bref, rien de bien nouveau dans cette tentative de réévaluation de la pensée de Marx et Engels. On y trouve assez exactement ce que l’on savait déjà. Marx reconnaît aux coopératives quelques mérites marginaux. Mais elles ne constituent en rien une solution. Et surtout, en fait Marx ne s’y intéresse pas. Quelques allusions disparates, mais aucun travail sérieux et approfondi sur ces coopératives, sur leurs pratiques de travail concrètes, sur leur organisation du travail, sur leur rapport au pouvoir et à l’argent, etc. Il ne va un peu plus loin que pour la Commune de Paris, mais ce n’est que parce qu’il y a eu simultanément une tentative de prise de pouvoir.
La plupart de ses héritiers s’en foutent également un peu, sauf quelques-uns qui essayent de raccrocher désespérément les deux mouvements.