Les nouvelles majorités présidentielle et parlementaires vont-elles enfin régulariser le vide juridique dans lequel se trouve la révision coopérative ?
Les nouvelles majorités présidentielle et parlementaires vont-elles enfin régulariser le vide juridique dans lequel se trouve la révision coopérative ?
Le nouveau gouvernement vient de créer un ministère délégué chargé de l’économie sociale et solidaire. Simultanément, le Sénat a enregistré le 15 juillet 2012 un rapport d’information fait au nom de la commission des affaires économiques par le groupe de travail sur l’économie sociale et solidaire. Des signes indéniables de regain d’intérêt pour les structures coopératives, mais au-delà des grandes intentions, se peut-il que le petit problème concret de la révision coopérative sera résolu ?
Éloge de la révision coopérative
Le rapport du groupe de travail du Sénat rappelle le rôle de la révision coopérative : « La révision est un mécanisme d’audit propre aux entreprises coopératives. Il a pour but de s’assurer du respect des règles relatives à la coopération, notamment la participation des associés à la gestion de la société. La révision permet aussi de porter une appréciation critique sur la gestion technique, administrative, financière et sociale de la coopérative. Il s’agit donc autant d’une procédure utile au pilotage de l’entreprise que d’une procédure de contrôle. » Et il l’approuve entièrement: « Votre rapporteur estime que la révision coopérative constitue un instrument utile pour promouvoir le modèle coopératif et que toutes les coopératives devraient lui être soumises. » Il précise d’ailleurs que « l’article 54 bis de la loi du 19 juillet 1978 l’impose [déjà] aux SCOP. »
Le rapport donne l’impression d’avoir bien tout examiné puisqu’il précise : « Dans le détail, la procédure de révision coopérative est organisée par le décret n° 84-1027 du 23 novembre 1984. Ce sont des réviseurs agréés par les ministères compétents, après avis du Conseil supérieur de la coopération ». Rappelons que les réviseurs peuvent être « toute personne physique justifiant d’une qualification professionnelle suffisante en matière économique, financière et de gestion ainsi que toute personne morale qui garantit que la révision sera effectuée par des agents justifiant de la même qualification ». Ces personnes doivent être totalement extérieures aux coopératives qu’elles contrôlent. Elles remplissent en fait un rôle assez proche de celui des commissaires aux comptes dans les sociétés commerciales courantes. De fait, la dernière liste des réviseurs agréés disponible montre qu’il s’agit presque uniquement de commissaires aux comptes (personnes physiques ou sociétés).
Quant au ministre délégué, dans son intervention devant la direction générale de la cohésion sociale (DGCS), il « note d’ores et déjà que [la] réorganisation [de la DGCS réalisée sous la précédente législature] s’est traduite par une très sévère diminution des moyens humains dédiés au pilotage interministériel de l’ESS [qui] ont été divisés par trois et ce choix n’est pas facilement réversible dans le contexte budgétaire actuel », mais il précise aux services : « Je vous demande de m’éclairer sur tout ce qui peut concourir ou nuire au développement des organismes à but non lucratif qui, dans vos secteurs respectifs, développent une activité marchande et d’utilité sociale : signalez-moi les problématiques, informez-moi de vos travaux, saisissez-moi de vos propositions. » Informons donc le ministre !
Rappel des faits
Vingt ans de fonctionnement ordinaire
Les décrets 84-1027 et 88-245 organisent l’agrément des réviseurs coopératifs « par arrêté conjoint du ministre compétent et du ministre chargé de l’économie sociale, après avis d’une commission nationale d’agrément composée de représentants des huit ministères concernés, de deux représentants du Conseil supérieur de la coopération (CSC) et de deux personnalités qualifiées]. Le secrétariat de la commission est assuré par la délégation à l’économie sociale [service du ministre chargé de l’économie sociale] ». (dans l’article [« Comment créer votre scop vous-mêmes », une mauvaise lecture des décrets mentionnait une validité de l’agrément de 3 ans et une réunion annuelle de la commission. Il n’en est rien : l’agrément est valable jusqu’à ce qu’il soit éventuellement retiré et la commission se réunit autant que nécessaire).
La suppression des commissions
Anticipant la RGPP, le Gouvernement décide en 2006 de supprimer bon nombre de commissions administratives à caractère consultatif. Pour ce faire, il publie un décret n° 2006-672 du 8 juin 2006 qui précise les règles de création, de composition et de fonctionnement des commissions administratives à caractère consultatif et qui indique dans son article 17 que les « commissions administratives […] créées avant la date de publication du présent décret sont abrogées au terme d’un délai de trois ans à compter de cette date. » La commission nationale d’agrément des réviseurs coopératifs est de ce fait dissoute.
Un étrange malaise
Un étrange malaise s’instaure alors. L’opération est suffisamment opaque pour qu’un député s’évertue pendant deux ans (à cinq reprises) à poser une question écrite sur l’absence de réunion de la commission en 2006, 2007, 2008 et 2009. Plus curieux encore, le ministre en charge du dossier ne répond pas aux quatre premières demandes. Ignore-t-il le contenu du décret de 2006 ou l’existence même de la commission d’agrément des réviseurs coopératifs ?
La direction à l’innovation, l’expérimentation sociale et l’économie sociale (DIESES, devenue MIESES en 2010), sollicitée pour obtenir la liste des réviseurs, s’avoue incapable de la fournir ; puis, après quelques recherches, elle fournit une liste « non exhaustive de quelques réviseurs coopératifs » datant de 2005 avec avis « de ne pas considérer ce document comme officiel ». Pourquoi tant d’hésitations et de précautions ? En principe, la suppression de la commission ne met pas en cause les agréments délivrés antérieurement.
Ajoutons que le décret de 2006 laissait un délai de trois ans pour dissoudre la commission. D’après l’ultime liste de réviseurs agréés, le dernier agrément date de 2003 ; est-il possible qu’il n’y ait eu aucune demande d’agrément de 2003 à 2009, alors que la liste fait apparaître un ou plusieurs agréments presque chaque année antérieure ?
Dans l’attente d’un décret
Dans sa réponse au député du 28 septembre 2010, le ministre concluait « Le principe de l’agrément restant souhaité par les acteurs de la coopération, son attribution pourrait désormais être assuré par le Conseil supérieur de la coopération. » Curieuse formulation : le ministre veut-il dire que le CSC remplacerait la commission dans son rôle consultatif, l’agrément restant en dernière instance le fait des pouvoirs publics, ou suggère-t-il que l’État se dessaisirait de son pouvoir d’agrément au profit du CSC dans lequel ses représentants sont minoritaires ? Il est vrai que la loi définit le CSC comme un organe uniquement consultatif placé auprès du Premier ministre (article 1er de la loi n° 76-356 du 20 avril 1976 et que son secrétariat est assuré par la direction générale de la cohésion sociale, service de l’État. Mais on sait par ailleurs que, par exemple, les SCOP sont inscrites sur la liste ministérielle des SCOP (publication obligatoire pour être définitivement une SCOP) par arrêté du ministre chargé du travail « après avis de la Confédération général des SCOP » (article 1er du décret n° 93-1231 du 10 novembre 1993) et que ce simple avis s’est transformé en véritable instruction par la CGSCOP du dossier simplement validée par le ministère.…
En tout état de cause, un décret est indispensable. Il paraît invraisemblable au citoyen ordinaire qu’un tel vide juridique puisse subsister depuis maintenant six ans. C’est ce qui semble se préciser, mais il est bien possible que l’année électorale n’ait pas facilité les prises de décision.
Ainsi, Fédé info de janvier 2012 mentionne : « À l’occasion de la réunion du 8 novembre [2011] du CSC, la Direction Générale de la Cohésion Sociale a soumis un projet de décret qui […] confie au bureau du CSC, le soin de délivrer les agréments, valables pour une durée de cinq années, ce qui suppose que les organismes agréés déposent une nouvelle demande d’agrément. Le cahier des charges de la révision coopérative doit lui aussi être revu pour être plus centré sur la conformité des coopératives avec les principes et les textes qui régissent la coopération. » On s’orienterait donc vers un transfert complet au CSC de la procédure d’agrément (sachant toutefois que le secrétariat du CSC est assuré par la DGCS) et une durée limitée de l’agrément. Cette procédure n’est pas confirmée par des propos récents de « personnes autorisées » : « Pour l’instant, et depuis un bon moment, on nage en plein vide juridique concernant l’agrément des réviseurs. La commission d’agrément a été supprimée dans le cadre de la RGPP. Il a été convenu que ce serait le bureau du CSC qui reprendrait cette fonction […]. On en a débattu en Bureau du CSC et… nous attendons depuis un an à peu près que la DGCS rédige le décret qui met en place la nouvelle procédure .. Donc en attendant pas d’agrément possible puisqu’il n’y a ni structure ni procédure pour le délivrer. » Il s’agirait alors d’une simple substitution du CSC à la commission nationale consultative, l’agrément étant toujours délivré par le ministère de tutelle après avis.
Pour une nette distinction entre l’État et le mouvement coopératif
L’affaire n’est pas anecdotique tant la confusion est grande dans le monde coopératif entre l’État et les représentants officiels de ce monde, au moins pour ce qui concerne les scop et ses représentants officiels, les unions régionales (URSCOP) et la confédération générale (CGSCOP). Comme nous le disait un avocat théoriquement spécialiste, abusé lui-même par la situation : « Il faut s’adresser à l’Union régionale des SCOP, seuls eux sont habilités à faire des révisions de SCOP et ils se répartissent les zones entre Unions régionales. » Ce qui est absolument faux. Mais la rétention d’information sur les réviseurs que pratiquent la plupart des URSCOP, le vide juridique depuis six ans, le malaise de la MIESES, tout mène à l’adhésion forcée aux URSCOP. Ce d’autant plus que l’inscription définitive sur la liste ministérielle des SCOP, après rapport du réviseur coopératif, est encore soumis à l’avis de la CGSCOP, que vous soyez adhérent ou pas, puisque c’est elle qui instruit toutes les demandes pour le compte du ministère.
Il conviendrait donc que l’imbroglio juridique soit enfin résolu et qu’il permette l’agrément de réviseurs coopératifs indépendants des organisations officielles actuelles du mouvement coopératif. C’est un des éléments qui permettrait une véritable liberté d’adhésion aux structures professionnelles du monde des SCOP et peut-être l’émergence d’une pluralité dans ces structures. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause l’intérêt de s’organiser collectivement pour faire valoir ses droits et promouvoir l’idée coopérative, mais l’existence d’une SCOP, son projet, son mode de fonctionnement ne doivent pas dépendre d’une quelconque adhésion.