Ardelaine ou comment une Scop autogérée peut-elle être le principal acteur territorial, économique et humain d’un pays

L’Ardèche, les Boutières exactement. Chef lieu, Saint-Pierreville, 500 habitants. Des arbres, des près, des collines et des cours d’eau. Une illustration du « désert français ». Rien ne révèle la présence, là, au creux du village, de la plus grosse entreprise du pays : Ardelaine, une entreprise pas comme les autres. Il s’agit en effet d’une Scop autogérée qui est devenu en quelques années le plus employeur de la région. Gros plan sur une aventure humaine et économique peu commune.

L’Ardèche, les Boutières exactement. Chef lieu, Saint-Pierreville, 500 habitants. Des arbres, des près, des collines et des cours d’eau. Une illustration du « désert français ». Rien ne révèle la présence, là, au creux du village, de la plus grosse entreprise du pays : Ardelaine, une entreprise pas comme les autres. Il s’agit en effet d’une Scop autogérée qui est devenu en quelques années le plus employeur de la région. Gros plan sur une aventure humaine et économique peu commune.

Saint Pierreville ou le désert français

Le nombre de village et de ruines en témoignent : l’Ardèche a été riche et prospère. L’économie locale a su longtemps tirer profit d’un terroir très beau mais relativement pauvre. La polyculture vivrière, l’élevage expansif des moutons, la soierie ont fixé les enfants au pays jusqu’à la fin des années 60. Puis les villages se sont progressivement vidés, au rythme de l’urbanisation de la France d’après guerre.

C’est au plus fort de la déprise que débute l’histoire d’Ardelaine, il y a 25 ans. Une poignée de jeunes idéalistes quelque peu allumés (voilà un an qu’ils sillonnent les routes du sud de la France en saltimbanques moyenâgeux, mi-acteurs mi-conférenciers) se retrouvent non loin de là, à se demander comment poursuivre leur aventure et concrétiser leurs rêves : vivre ensemble d’un travail qui ait un sens, loin de la fureur des villes et libres de la dictature du profit. Ce qu’un des « anciens » d’Ardelaine appelle avec malice « la zone industrielle multiséculaire » de Saint Pierreville, une filature en ruine, va leur permettre de mettre en pratique leurs théorie sur la vie et le travail collectif.

Solidarité, autogestion et écologie rendent possible le projet économique…

Au pied du village, une filature abandonnée leur servira de lieu de vie, de point de départ. L’idée audacieuse s’impose d’elle-même à qui a une longue habitude des chantiers de jeunesses pharaoniques et un sens aigu de la justice sociale. La fine équipe décide de mutualiser les revenus gagnés à droite à gauche pour réhabiliter le site et à terme, le travailler logiquement la laine, principale ressource du pays. Après quelques années d’efforts, naît en 82 la Société coopérative ouvrière de production Ardelaine (contraction d’Ardèche et de laine). Ils sont alors 15 associés et 1 salarié.

Le succès économique d’Ardelaine et les convictions autogestionnaires de ses acteurs sont indissociables. Relancer l’industrie de la laine, excessivement compétitive, dans cette région déprimée, sans capital financier initial n’était sérieusement envisageable que sur des bases coopératives et solidaires. En effet, comment imaginer réhabiliter un site industriel lorsqu’on ne possède rient sinon en mettant en commun les énergies et ressources du groupe ? Ardelaine sera le nom de la coopérative ouvrière de production monté autour d’un collectif de vie.
Aujourd’hui, l’entreprise autogérée distribue des salaires égaux à ses 25 salariés dont 18 sont aussi coopérateur et 10 participent au collectif de vie.

…en lui garantissant une cohérence territoriale

Pour relancer l’industrie de la laine, il faut tondre des moutons, donc s’associer aux éleveurs du pays. Comment convaincre des éleveurs de travailler avec vous qui n’êtes même pas de la région et que vous n’avez a priori aucune expérience du secteur ? Réponse d’Ardelaine, comme un principe de vie : se remonter les manches, apprendre et travailler. Mais cela ne suffit pas toujours, il faut savoir être attractif, proposer un projet cohérent. L’idée, c’est d’intégrer totalement le processus de production en misant sur la qualité, humaine et environnementale. La laine est ainsi achetée à des prix supérieurs à ceux du marché, elle est non traitée, lavée avec un savon biodégradable, ces eaux sont ensuite retraitées dans une station d’épuration aménagée sur le site, des normes bien au-delà des obligations légales. Quand à sa consommation d’énergie, l’entreprise valorise au mieux les ressources du site grâce à une centrale hydroélectrique.

Forte de cette cohérence humaine, territoriale et économique, Ardelaine est ainsi devenue au fil des années le premier employeur de la région. 300 éleveurs de l’Ardèche et de la Haute-Loire ont adhéré à une charte de qualité garantissant à Ardelaine 40 tonnes de laine “ Bio ”, qu’elle transforme après avoir tondu pas moins de 50 000 montons. Aujourd’hui l’entreprise projette d’intégrer sur le site l’activité de filage de la laine, la seule étape du processus qui leur échappe.

Quand économie rime avec projet culturel et pédagogique

Si Ardelaine est en passe d’intégrer l’ensemble de la filière laine (la tonte, lavage, cardage, filage, tricotage) c’est que l’entreprise s’est assurée dès l’origine la maîtrise de la commercialisation de ses produits. La vente s’effectue d’abord par correspondance, dans les salons européens, puis sur place. Ce qui surprend lorsqu’on constate l’enclavement du site. Comment vendre sur place si le pays est désert ? Réponse sans détour : on a fait venir du monde.

Il est un peu court de réduire la création en 1991 du Musée vivant de la laine et du mouton au débouché commercial qu’il constitue pour l’entreprise. L’envie d’apprendre, de faire, de montrer qu’il est possible de faire beaucoup avec peu si l’on sait partager et s’entraider est le moteur des coopérateurs associés d’Ardelaine. Ils ont appris l’histoire de la laine, de son travail, appris l’histoire industrielle du pays, reconstruit l’outil de production sur des bases autogérées et aiment transmettre tout ça. Alors ils ont écrit les textes, sélectionné des images et fabriqué des maquettes du un petit écomusée qu’ils ont construit dans l’enceinte de la filature.

Un acteur local incontournable

En partenariat avec l’association locale “ la maison du Châtaignier ”, la coopérative fait ainsi venir 30 000 visiteurs par an qui découvrent le passé glorieux de la laine ardéchoise (et les infinis usage de la châtaigne) et de la laine tout court. Ils achètent ensuite des pulls ou des matelas dans la boutique et se posent à midi au restaurant du village.

L’impact économique d’Ardelaine sur Saint-Pierreville est énorme. Aujourd’hui, le restaurateur du village n’assure plus le couvert. La centaine de touristes doit sortir du village pour se restaurer. Un marché substantiel à saisir, surtout si on y ajoute la vingtaine de travailleurs de l’entreprise qui dîne tous les jours dans la salle commune de la maison ardelaine. Il est alors très tentant d’ouvrir un restaurant coopératif sur le village qui remplirait les deux fonctions …

L »entreprise Ardelaine, l’acteur économique se questionne et observe alors du dehors le projet autogéré : les compétences sont là, la clientèle du restaurant est assurée. C’est très tentant, mais cela nécessiterait de trouver de la main d’œuvre. Or ils ont du mal à recruter là des gens très motivés par la gestion collective. Il faudrait donc embaucher de simples salariés car s’ils apprécient Ardelaine, ce n’est pas leur histoire. Cette forte cohésion idéologique, humaine du collectif limite son propre développement.
C’est qu’Ardelaine n’est plus seulement qu’une entreprise alternative et solidaire, mais de fait un acteur territorial. Si les jeunes des années 70 étaient regardés comme des hurluberlus, horsains de surcroît, l’entreprise Ardelaine est aujourd’hui vue différemment par les gens du pays. Et qu’ils le veuillent ou non, il faut nécessairement compter avec dans le chef lieu. Un fils du collectif au départ de l’épopée siège désormais au conseil municipal.

Alternatif et solidaire sur tous les fronts

Ardelaine a toujours été résolument à contre courant, inclassable. Alternative et solidaire, elle s’est investie dans le pari de la ruralité en plein durant les années fric, tout en refusant de s’y enfermer. Au moment où l’air du temps est en faveur d’un retour à la campagne (en grande partie mythique du reste), Ardelaine prend l’option inverse : en 86 Ardelaine installe dans la ZUP de Valence la partie confection de ses ateliers. L’installation répond bien sûr à une logique industrielle (accessibilité des machines à coudre pour leur maintenance) mais ne s’y limite pas. Là encore, au cœur du projet valencien, il y a l’envie, sinon le besoin de ne pas se replier sur soi, et après avoir joué la carte de la ruralité, d’encourager un urbanisme plus humain. Ardelaine crée donc une association et joue un rôle important dans les dynamiques du quartier. Et comme rien n’est univoque, l’association sert également de lieu de recrutement à l’entreprise…

Au fin fond de l’Ardèche comme dans les quartiers défavorisés de Valence, Ardelaine démontre qu’il est toujours possible d’agir, de ne pas se résigner à la logique du profit à court terme et que l’alternative au système capitaliste n’est certainement pas dans la fuite.

Contact Ardelaine :
07190 Saint-Pierreville
04 75 66 63 08

La Péniche, une entreprise autogérée

La Péniche a été créée fin 1995 à la suite d’un licenciement collectif. Trois personnes concernées et d’autres, de leur entourage, ont alors décidé de créer une entreprise autogérée.

La Péniche a été créée fin 1995 à la suite d’un licenciement collectif. Trois personnes concernées et d’autres, de leur entourage, ont alors décidé de créer une entreprise autogérée.

HISTOIRE

 Création

Le désir d’autogestion venait d’une critique assez radicale du fonctionnement des entreprises : pouvoir et hiérarchie du pouvoir ; inégalités, notamment des salaires ; compétence et hiérarchie des compétences ; individualisme et compétition, temps et intensité du travail illimités. C’est tous ces points, formant système dans les entreprises traditionnelles, que nous voulions remettre en cause en créant une entreprise sans pouvoir, sans hiérarchie (des compétences et des salaires), collective et ayant pour objectif de travailler moins et plus agréablement.

Mais ce sont des personnes qui cherchaient du travail, autant que des personnes critiques à l’égard du fonctionnement des entreprises, qui ont créé la Péniche. Ce fait d’origine se répétera à presque chaque embauche : une seule personne a délibérément quitté son emploi pour venir travailler dans une entreprise autogérée. Ne caricaturons pas non plus dans l’autre sens : la plupart des personnes travaillant dans la Péniche ont eu l’occasion, à un moment ou à un autre, d’aller travailler ailleurs et ne l’ont pas fait.

Au cours de la première année, un clivage est vite apparu entre ceux qui souhaitaient une entreprise très collective et ceux qui souhaitaient une sorte de groupement d’intérêt économique de travailleurs indépendants. Ces derniers, essentiellement des journalistes, voulaient unir leurs forces pour démarcher les clients et se répartir ensuite le travail individuellement, en étant rémunéré à la tâche tout en prenant en compte les compétences des uns et des autres. L’incertitude sur la faisabilité économique du projet et la faiblesse de la rémunération initiale ont fait le reste. En quelques mois, les projets sont apparus si différents que nous nous sommes séparés.

 Les vaches maigres : s’autogérer c’est aussi être tous entrepreneurs

La présence, à l’origine, de personnes venant de l’édition de livres, du journalisme et de l’économie sociale a permis d’avoir immédiatement un minimum de travail. Mais, nous nous sommes retrouvés fin 1997 sans perspectives aussi bien en terme de clientèle que du point de vue du fonctionnement. La question s’est alors posée de continuer.
Et nous avons dû être réellement de petits entrepreneurs : aller chercher les clients un par un, accepter les tout petits contrats, peu intéressants et peu rentables, n’avoir de perspective qu’à très court terme, faire 90 % de démarches infructueuses, etc.

C’est évidemment un moment difficile à passer. Il est plus facile à passer collectivement. On se soutient les uns les autres, on panique moins face au client, on se décourage moins, on subit moins personnellement l’échec, etc. Pour autant, un fort engagement et une forte cohésion sont indispensables ainsi qu’exigence et indulgence mutuelles. Des difficultés peuvent naître de perception et d’appréciation divergentes : carnets d’adresses plus ou moins fournis, participation au démarchage plus ou moins important, réussite plus ou moins grande, etc. Il faut veiller à ce moment-là à ce que chacun apporte tout ce qu’il peut et prendre en compte la grande inégalité (sociale et psychologique) dans laquelle nous sommes face à ce type de situation. Tous entrepreneurs certes, mais exigence et indulgence mutuelles sont absolument indispensables.

C’est durant cette période que nous avons réellement pris conscience que la Péniche était aussi une entreprise avec des salaires à payer et qu’elle nécessitait une cohésion qu’on ne pouvait avoir en travaillant à distance les uns des autres.

 Développement

L’entreprise ne s’est réellement développée qu’après trois ans. Humainement, en recrutant de nouveaux associés au rythme d’un par an, effectuant un 1/2 ou un 3/4 de temps (nous sommes aujourd’hui 8 salariés effectuant l’équivalent de 5 plein-temps). Economiquement, en triplant son chiffre d’affaires, en revalorisant les rémunérations (pour atteindre 80 F net de l’heure aujourd’hui) et en réalisant des excédents croissants.
L’assise économique qu’a prise la Péniche a facilité la vie quotidienne de ses membres et le recrutement de nouveaux. Nous avons pu passer du strict paiement des heures effectuées chaque mois à des salaires fixes et réguliers lissant les fluctuations de l’activité. Il n’est plus nécessaire aujourd’hui d’avoir le “ goût du risque ”, de “ n’avoir rien à perdre ” ou d’être le “ dos au mur ” pour venir dans la Péniche.

Pourtant, le recrutement est demeuré difficile. Les conditions matérielles offertes par la Péniche sont loin d’être seules en cause. A une exception près, tous les membres de l’entreprise étaient plus ou moins sans activité professionnelle avant de venir. Tous sont sans enfant. Quatre ont moins de 30 ans et la Péniche constitue leur premier “ vrai ” emploi. Les quatre “ vieux ” avaient tous participé à une expérience autogérée. Les 30-50 ans plus ou moins sollicités n’ont jamais été réellement intéressés, encore moins quand ils n’étaient pas au chômage. Ce qui préside au choix du futur salarié(e) est avant tout son degré d’adhésion au projet porté par l’entreprise : le refus d’un certain confort du salariat, le besoin de chercher autre chose dans le travail que la feuille de paie ou la carrière, le désir d’être libre parce que solidaire…

Jusqu’à présent, l’augmentation de l’effectif n’a posé aucun problème grave. Pour ce qui concerne les grandes décisions, il n’y a aucune différence. Toutefois, au quotidien, lorsque nous n’étions que 2 ou 3, il était très facile d’être au courant de tout et de s’occuper de tout. Aujourd’hui, à 8, c’est plus difficile et cela pose même la question de la nécessité d’un suivi général par tous et jusqu’à quel point. Les différences de points de vue sur le sujet peuvent être source de tensions.

Il est difficile de savoir s’il y a un nombre maximum pour notre mode de fonctionnement. A un certain stade, sans remettre tout en cause, devrons nous adopter un fonctionnement répartissant le travail à des sous-groupes et ne faire appel à tous que pour les grandes décisions ? Vaudra-t-il mieux essaimer en créant une Péniche bis appuyée sur la première pour le démarrage puis autonome, même si l’on conserve des passerelles et des synergies ? etc.

Enfin, notre développement et l’accroissement de notre rentabilité nous amènent à nous poser la question de l’utilisation des excédents. Nous avons décidé de les utiliser pour des activités non directement rentables mais qui nous tiennent à cœur. Cela nous pose des questions de choix collectifs importants.

PRINCIPES DE FONCTIONNEMENT

 La Péniche appartient égalitairement à tous ses salariés et à eux seuls

Le capital est de 50 000 F, divisé à part égale entre chacun des salariés. Ces derniers ont acquis leur part dès leur arrivée (souvent à crédit sur les salaires à venir).
Il faut reconnaître que la faiblesse des investissements nécessaires à notre activité (quelques ordinateurs, de la documentation, etc.) facilite cet égalitarisme. Investir personnellement une forte somme sur un avenir, certes égalitaire, mais incertain et désindividualisé, est peut-être plus difficile à demander.

 La spécialisation des fonctions est le plus limitée possible

A priori, tout le monde s’essaye à tout. Chaque type de travail est réparti entre tous les salariés, qu’il s’agisse d’écriture, de démarchage, de suivi des clients, de gestion ou d’administration. En réalité, certaines tâches sont toujours effectuées par la même personne. Selon l’urgence, le niveau d’exigence, les envies et les compétences de chacun, la règle s’est donc adaptée. Il n’en reste pas moins que personne n’est responsable seul d’un dossier. Nous essayons donc le plus possible d’avoir une prise en charge collective des différentes tâches à effectuer. Ce qui implique que chacun s’intéresse à tout et se forme à toutes les tâches nécessaires au fonctionnement de l’entreprise, à la comptabilité comme à la production. Reste que notre bonne volonté se laisse parfois endormir…

Par ailleurs, cette approche n’est pas sans poser des problèmes de rapport au travail. Le travail est souvent constitutif de l’identité de la personne, du sentiment qu’a chacun de sa valeur et de son utilité. Dès lors que le résultat de son travail n’est plus directement attribué au salarié mais est le fruit du collectif, comment s’y retrouver, se rassurer ?

  La hiérarchie des salaires est totalement absente

Nous sommes tous payés au même salaire horaire. Ce principe a deux corollaires. Nous notons individuellement toutes nos heures de travail, quelle que soit la nature de ce travail (écriture, prospection, gestion, etc.) et chacun est payé en fonction du nombre d’heures effectuées. Chacun travaille le nombre d’heures qu’il souhaite (ou qu’il peut), en s’engageant sur une quantité d’heures et une durée.

Nous avons réinventé la pointeuse, mais c’est une auto-pointeuse et elle est la condition de la liberté de chacun et de l’égalité de tous. Revers de la médaille, cette autosurveillance est parfois oppressante, lorsque l’on pense à la rentabilité de l’heure travaillée et au gain ou à la perte qu’elle peut occasionner à la structure.
Si nous avons décidé que tous les types de travaux se valent, c’est que nous refusons que les éventuelles différences de “ productivité ” deviennent des critères de rémunération. Les “ critères ” de hiérarchisation des salaires dans les entreprises traditionnelles ne sont pas moins arbitraires et “ idéologiques ” que les nôtres et ils suscitent des conflits sans fin.

 La Péniche fonctionne sans chef

Nous n’avons aucune fonction de “ dirigeant ”, qu’il s’agisse de la conduite financière de l’entreprise, de son fonctionnement global ou quotidien. Aucun système de pouvoir n’est instauré et les décisions sont prises à l’unanimité ce qui peut parfois prendre un peu de temps.
Juridiquement, nous sommes obligés d’avoir un gérant. Il est donc tiré au sort chaque année parmi ceux qui ne l’ont pas encore été et n’a strictement aucune fonction dans l’entreprise.

 La Péniche fonctionne collectivement

Conséquence de tout ce qui précède (égalité financière, propriété à part égale du capital, non spécialisation, refus du pouvoir), la participation à la Péniche exige un fort investissement, une grande prise de responsabilité et un sens du travail collectif de chacun de ses membres.
Concrètement, une réunion hebdomadaire permet de prendre toutes les décisions, des plus générales (orientation de l’activité, développement, temps de travail, salaire, embauche, etc.) aux plus particulières (devis clients, répartition du travail sur la semaine, etc.).

Pour le fonctionnement quotidien, aucun travail n’est traité par une seule personne. Le plus souvent, au moins 3 ou 4 personnes ont contribué d’une manière ou d’une autre et sont au courant de chaque dossier. Ce mode de travail très collectif vise à développer le partage, la formation réciproque, l’investissement et la prise en charge par chacun de l’ensemble des travaux. Par ailleurs, la qualité du résultat est meilleure.

Bien entendu, ce fonctionnement n’est pas toujours absolument lisse. Mais pour ceux qui ont l’expérience des entreprises traditionnelles, il n’est pas plus difficile à mettre en œuvre et ne crée pas plus de problèmes que la division et la hiérarchie du travail. Plutôt moins…

 Notre fonctionnement crée des liens et nos liens facilitent notre fonctionnement

Lorsque des conceptions ou des manières de faire s’opposent, il n’y a pas d’autorité pour trancher. Il faut donc bien faire preuve d’attention et de respect pour faire évoluer les choses. Bien entendu, l’attention et le respect obligés par le fonctionnement collectif et autogéré améliorent en retour ce fonctionnement.
Parler d’affectif dans les relations de travail est un peu tabou, et peut-être à juste titre : on n’est pas obligé de s’aimer pour travailler ensemble. Pourtant, il nous semble indéniable que le fonctionnement collectif autogéré, par l’obligation d’attention et de respect, amène de l’affectif dans les relations de travail. Et en retour, l’affectif favorise l’attention et le respect de l’autre.
Être plus nombreux pour travailler moins
Notre interrogation sur le temps et l’intensité du travail a des origines diverses. “ Travailler moins pour travailler tous ”, “ Travailler trop c’est travailler mal ”, “ Plus jamais 60 heures par semaine ”, “ On ne se réalise pas que par le travail ”. Ajoutons “ Plus on est de fous plus on rit ” et une “ paresse ” naturelle et bien ancrée chez certains…

Dès le début, et comme “ naturellement ”, le temps de travail de chacun s’est limité entre un 1/2 et un 3/4 temps. Lorsque le travail s’intensifie, nous sommes toujours capables de “ donner un coup de collier ”. Le moins longtemps possible… Et l’interrogation sur une nouvelle embauche se fait vite jour.

 “ Plafonnement ” des salaires et utilisation des excédents

Plusieurs facteurs nous ont amené à nous interroger sur le “ plafonnement ” des salaires. Est-il légitime, dans une société donnée, de gagner plus que sa part du gâteau produit par cette société (le salaire ou le revenu moyen) ? N’est-il pas un peu facile de faire une entreprise autogérée de “ nantis ” ? La question de l’autogestion doit-elle inclure celle de la consommation, du temps de travail, des modes de vie ?

Lorsque la possibilité de se payer plus que le salaire moyen français (13 700 F brut) s’est posée en 2001, nous avons décidé, sans prendre de décision formelle de plafonnement, de nous augmenter encore de 10 % et de commencer à affecter les excédents au paiement des heures effectuées pour du travail non directement rentable dont nous décidons collectivement de la pertinence (comme des projets de livres, de revues, de sites, ou comme des projets d’essaimage d’entreprises autogérées, ou comme notre participation à REPAS…).

C’est un point important et complexe. Autant on peut s’entendre sur le mode de fonctionnement et ce que doit être le monde du travail, autant on peut avoir des idées différentes sur des activités autres (sujets à traiter dans des livres ou des revues, projets à soutenir, etc.). Comment faire des choix ? Principe de la tontine ou accord sur un projet qui susciterait, sinon l’enthousiasme, du moins l’adhésion de tous ?