Faut-il tous se payer pareil ?

La maxime “ A travail égal, salaire égal ” est pour beaucoup la référence en matière de justice salariale. Mais en autogestion dès lors qu’on se situe dans une logique d’égalité dans le rapport à la structure et aux autres, dans l’investissement personnel et la propriété de l’outil de travail, le travail est, d’une certaine manière, le même pour tous même si ce ne sont pas les mêmes tâches qui sont accomplies. Il n’y a alors pas de raison d’introduire une hiérarchie des rémunérations alors que l’on a cherché à les abolir par ailleurs. Décider que tous les types de travaux se valent c’est refuser que les éventuelles différences de “ productivité ” deviennent des critères de rémunération. Et c’est d’autant plus légitime que les “ critères ” de hiérarchisation des salaires dans les entreprises traditionnelles ne sont pas moins arbitraires et “ idéologiques ” que la prise de position autogestionnaire qui refuse d’accorder moins de valeur au travail de l’un par rapport au travail de l’autre.

La maxime “ A travail égal, salaire égal ” est pour beaucoup la référence en matière de justice salariale. Mais en autogestion dès lors qu’on se situe dans une logique d’égalité dans le rapport à la structure et aux autres, dans l’investissement personnel et la propriété de l’outil de travail, le travail est, d’une certaine manière, le même pour tous même si ce ne sont pas les mêmes tâches qui sont accomplies. Il n’y a alors pas de raison d’introduire une hiérarchie des rémunérations alors que l’on a cherché à les abolir par ailleurs. Décider que tous les types de travaux se valent c’est refuser que les éventuelles différences de “ productivité ” deviennent des critères de rémunération. Et c’est d’autant plus légitime que les “ critères ” de hiérarchisation des salaires dans les entreprises traditionnelles ne sont pas moins arbitraires et “ idéologiques ” que la prise de position autogestionnaire qui refuse d’accorder moins de valeur au travail de l’un par rapport au travail de l’autre.

Comment se payer tous pareil alors que nous ne sommes pas tous également “ rentables ” ?

Je travaille plus vite (ou moins vite) que X ”,“ Je travaille mieux (ou moins bien) que Y ”. Les salaires doivent-ils être différenciés pour autant, et sur quels
critères ? On pourrait imaginer de payer au rendement. C’est pratiquement irréalisable dans la plupart des cas, le travail aux pièces étant rare. Il faudrait donc tenter
d’évaluer chacune des tâches à effectuer, le temps moyen nécessaire pour les accomplir, etc. Bref, revenir à ce
qui se passe dans l’entreprise traditionnelle. Enfin, quand bien même certains seraient moins “ efficaces ” que d’autres, pourquoi reproduire par la différenciation des rémunérations des inégalités qui sont en grande partie héritées de la structure sociale ? Pourquoi pénaliser les moins “ productifs ” alors que chacun fait du mieux qu’il peut pour faire avancer la structure et qu’il ne s’agit pas de mauvaise volonté ?

À chacun et à tous de s’interroger sur les différentes pratiques. Ceux qui travaillent lentement ont-ils conscience du minimum de rentabilité indispensable du travail et du poids qu’ils font peser sur ceux qui travaillent vite ? Ceux qui travaillent vite ont-ils conscience de la pression psychologique qu’ils exercent sur les autres ? Est-il indispensable d’avoir des “
cadences infernales ” ? L’autogestion ne doit-elle pas privilégier les conditions de travail ? Mais qu’est-ce que de bonnes conditions de travail ; celles où l’on ne travaille pas trop vite mais longtemps ou vite et pas longtemps pour avoir plus de temps libre? De plus, qu’elle sont les conditions économiques nécessaires à ces bonnes conditions de travail ? Ces questions ne sont guère différentes de celles qui se posent dans l’entreprise traditionnelle, mais s’autogérer, c’est tenter d’y répondre non par la hiérarchie des salaires mais par leur égalité et par la coopération, la confiance et la discussion.

Comment être totalement libre de son temps de travail ?

Il suffit que l’égalité des salaires porte sur le tarif horaire versé à chaque salarié pour que le principe soit applicable. Chacun note les heures qu’il effectue et les
rémunérations sont calculées à partir des heures effectuées par chacun auxquelles on applique le même taux horaire. L’absence de hiérarchie des salaires c’est un
salaire horaire égal pour tous et le comptage des heures de travail.

Un minimum de prévision est indispensable pour que la structure puisse fonctionner. Il faut à la fois essayer d’anticiper le volume global d’heures de travail à effectuer et à se répartir dans l’année, et que chacun dise combien d’heures il souhaite travailler et selon quel rythme : 30 heures par semaine en 4 jours (ou en
5 selon les envies), 1 200 heures sur l’année mais à plein temps pendant 9 mois et avec 3 mois de vacances, etc. Attention cependant, la responsabilité globale sera
plus forte pour ceux qui seront constamment présents que pour les autres.
Il faut donc miser sur le fait que le travail choisi est toujours mieux pris en charge et effectué que le travail non choisi. Et que ceux qui travaillent tout le temps sachent prendre leur distance par rapport à un investissement souvent excessif. Partager les responsabilités doit être le fait des deux tendances et est souvent plus facile qu’on ne le pense à résoudre techniquement. L’idéal serait de répartir de façon égale le nombre d’heures à effectuer afin que chacun ait la mêmequantité de travail et donc la même rémunération à la fin du mois. Mais il est tout à fait possible de s’entendre sur des temps de travail différenciés, tout le
monde percevant la même rémunération à l’heure. Ce partage du travail ouvre d’ailleurs la voie à un temps de travail
choisi qui facilite l’épanouissement et contribue à créer de l’emploi du fait de la baisse du temps de travail moyen qui en résulte souvent.

Réinventer la pointeuse ?

Noter ses heures de travail constitue donc un changement radical par rapport à l’entreprise traditionnelle. C’est une pointeuse personnelle que l’on met en place et qui oblige à prendre conscience de son temps de travail effectif.Alors que dans l’entreprise traditionnelle, le temps de travail et la rémunération qui va avec sont fixes, prévus à l’avance. Le jeu consiste alors, soit à essayer de faire moins que les heures prévues, soit de dire qu’on travaille plus que les heures prévues. Dans le système d’autogestion, rien de tout cela : on est face à son temps de travail effectif. Ce qui est à la fois la garantie de sa liberté et de l’égalité de tous mais aussi une auto surveillance parfois oppressante, lorsque l’on pense à la rntabilité de l’heure travaillée et au gain
ou à la perte qu’elle peut occasionner à a structure.

Noter le détail de son temps de travail par type d’activité constitue un outil de gestion remarquable. Par journée, demi-journée ou au fur et à mesure des activités,
chacun note sur une fiche le temps qu’il a consacré à telle ou telle activité. Dans la mesure où différents « dossiers» ou travaux ponctuent en général la journée, la demie heure semble une unité de temps pertinente. Cela permet :

 que chacun sache précisément le nombre d’heures qu’il a effectuées et donc le salaire qu’il va percevoir.

 de savoir précisément, une fois les fiches regroupées et totalisées par types d’activité, le temps que prend chacun des travaux. On a souvent des surprises tant notre rapport au temps est diversifié.

 d’ajuster les tarifs et les devis en fonction des expériences antérieures.

Bien sûr, cette sorte d’auto-pointeuse peut paraître une monstruosité en autogestion. Ce système, qui peut difficilement être anonyme, peut être vécu comme une sorte de flicage, une surveillance de la rentabilité de chacun. En tout état de cause, il constitue un facteur de stress,
chacun pouvant se vivre en permanence sous la pression de la rentabilité et donc d’un travail aliénant ; même si le groupe n’est pas en cause et le stress tout personnel.
Cela nécessite donc un sens des responsabilités et surtout une confiance profonde entre les membres de la structure,
le refus constant d’aller chercher une responsabilité individuelle en cas de difficulté, le seul souci de mettre en commun l’information sur le travail et de faire fonctionner au mieux la structure avec les membres présents. Il ne faut pas se cacher que la vigilance dans ce domaine doit être constante pour éviter ou gérer le sentiment de différence d’“ efficacité ” et pour faire face à la difficulté de gérer le modèle économique sans se lasser.

Comment gérer les différences

Les différences d’investissement dans le projet d’autogestion sont d’autant plus légitimes qu’elles vont varier chez un même individu selon son temps de présence, ses investissements extérieurs, son évolution personnelle (idéologique, professionnelle), etc. D’autre part, selon
la forme qu’il prend et les conséquences qu’il entraîne, un très fort investissement n’est pas forcément le signe d’un bon investissement. Les dérives et les reproches sont ainsi toujours prêts à surgir. Il faut donc en permanence s’interroger sur les pratiques : la périodicité des
réunions est-elle la bonne ? l’information circule-t-elle comme il faut ? comment faire avec telle personne à temps partiel pour cause d’études ou d’enfant ? etc. Comme il arrive fréquemment qu’il n’y ait pas de solution pratique au problème posé, il faut donc un solide esprit de confiance et de coopération pour assumer provisoirement ce manque. Mais,comme dans tous les domaines, c’est plutôt
moins difficile et moins violent pour tout le monde que dans l’entreprise traditionnelle.

Il est tout à fait possible de s’investir plus ou moins en fonction de ses souhaits au sein d’une structure autogérée. Cet investissement se mesure essentiellement
en heures de travail. On peut décider d’en faire moins pour se consacrer à autre chose. Mais attention cependant à
ne pas en faire beaucoup moins que les autres pour continuer à assumer sa part de la prise en charge collective de la structure. Parce qu’on est moins présent,
moins au courant, on peut peu à peu se laisser aller à être à la remorque du collectif. Or l’autogestion est un fonctionnement gratifiant mais exigeant. Sa souplesse permet certes des horaires différenciés, mais nécessite que chacun se sente investi fortement du fonctionnement
de la structure. Prendre en charge le relationnel, interne et externe, assurer une part de la production, de la
gestion, du commercial, de la stratégie de la structure et de la conduite du projet : autant de taches qui doivent être assumées collectivement et qui imposent auto-formation et investissement personnel. C’est par l’échange et la discussion que le collectif pourra négocier un équilibre entre les souhaits des uns et des autres.

Faire taire les fondateurs ?

Une différence forte apparaît souvent entre les membres fondateurs et les autres. Elle est souvent le produit des uns et des autres. Les fondateurs ont forcément beaucoup investi pour démarrer le projet. Ceux qui arrivent ensuite éprouvent forcément soit une admiration, soit un complexe, soit un manque vis-à-vis de ces fondateurs. Pour relativiser le poids de ces derniers, il faut également constamment réinterroger l’histoire et les pratiques. Peut-être des changements importants et bénéfiques sont-ils survenus grâce à l’arrivée de nouveaux venus ? Peut-être faut-il limiter la possibilité pour les fondateurs de revendiquer leurs “ sacrifices ” initiaux ?

Il demeure néanmoins que les fondateurs bénéficient toujours d’une sorte de prestige par la mémoire complète qu’ils ont du projet. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose si cette mémoire est utilisée sans abus.
Enfin, si des difficultés peuvent naître de perception et d’appréciation divergentes : carnets d’adresses plus ou moins fournis, participation au démarchage commercial plus ou moins important, réussite plus ou moins grande, etc. Il faut veiller à ce que chacun apporte tout ce qu’il peut et prendre en compte la grande inégalité (sociale et psychologique) dans laquelle nous sommes dans ce type de
situation.

Et si malgré tout des leaders émergent ?

Même si les principes d’égalité sont clairs, il peut arriver que certains exercent une forme particulière de pouvoir sans forcément qu’ils le recherchent. C’est une
objection classique au fonctionnement autogéré : l’émergence de leaders “ naturels ” au sein de tout groupe humain. Difficile effectivement de récuser qu’il ne
suffit pas de décréter l’égalité pour qu’elle existe réellement.

Parce qu’ils ont créé la structure, parce qu’ils ont l’expérience du travail, de la gestion ou parce qu’ils ont toujours une suggestion à proposer ou tout simplement
une grande gueule, certains peuvent prendre en charge le devenir de la structure plus que les autres. Cela ne doit pas venir infléchir les principes d’égalité mais porter à la réflexion sur pourquoi certains se sentent “ leaders ” et pourquoi les autres les laissent faire. Il s’agit avant
tout d’une question de responsabilité collective.

Si les “ leaders ” sont convaincus de la validité des principes mis en place et ne cherchent pas à prendre le pouvoir, ils
peuvent éprouver une certaine lassitude de prendre plus que leur part de la responsabilité d’ensemble de la structure, de chercher des clients, d’en assurer le
suivi, de coordonner le travail, de s’assurer de sa qualité, de résoudre les problèmes, de prendre en charge l’animation du collectif, etc. Les exigences de la production imposent une prise de conscience et un investissement personnel relativement important. Cette prise en charge doit être le plus collective possible
pour soulager les uns et responsabiliser les autres.

Et si certains continuent à en faire plus que d’autres parce qu’ils effectuent plus d’heures de travail, sont plus angoissés ou méticuleux, tant pis pour eux. Et tant pis pour les autres qui ne s’investissent pas suffisamment dans la prise en charge collective et s’en remettent aux autres pour le pilotage implicite de la structure. Mais
si les écarts sont trop importants, l’égalité formelle, dans la prise de décision comme dans la rémunération ne sera pas longtemps tenable. Il s’agit donc d’un des
enjeux importants de l’autogestion. Le travail collectif autogéré a de nombreux avantages : On se soutient les uns les autres, on panique moins face au client,aux échéances, on se décourage moins et on subit moins personnellement l’échec., etc. Mais cela nécessite un fort engagement
et une forte cohésion tout comme une exigence et une indulgence mutuelle.

Comment gérer collectivement sans dirigeants ?

Si on se lance dans l’autogestion c’est a priori pour ne plus avoir de chef et pour ne plus se comporter en chef ou encore que les autres ne se comportent plus en employés irresponsables.

Certaines activités sont traditionnellement découpées en postes et responsabilités différentes. Une entreprise a différentes tâches à mener : il lui faut assurer la production, trouver des clients, faire le suivi de sa gestion, etc. Autant de choses qui pourraient justifier une organisation qui prévoit une fonction de coordination.

Si vraiment cette hiérarchie paraît indispensable pour des raisons de rapidité de prise de décision ou pour assumer la
responsabilité face à un client, pourquoi ne pas élire le responsable ou, mieux, faire tourner la fonction ? Et pourquoi ne pas aller plus loin et imaginer une prise en charge collective de la responsabilité : chacun est responsable de tout. Il s’insère dans un ensemble dont il est responsable au même titre que les autres. Et quand
bien même ces rotations se traduiraient par un surcoût – telle personne choisie ou élue responsable est moins «efficace» que telle autre, temps de réunion nécessaire à la passation de dossier, etc.- ne serait-ce pas justement le prix de la gestion collective ? L’autogestion n’est pas automatiquement plus « rentable » (bien qu’elle puisse l’être très souvent !) que l’organisation dominante du travail. Et alors ? Travailler dans les meilleures conditions possibles a effectivement un coût qu’il faut être prêt à payer, et ce d’autant
plus facilement qu’un fonctionnement autogéré dégage des marges de manoeuvres importantes.

Comment prend-on des décisions collectivement ?

Si l’on décide de se passer totalement de « dirigeants », fussent-ils élus ou provisoires, il faut alors mettre en place un système de prise de décision collective.

Deux grands types de décisions sont le plus souvent à prendre. Celles concernant le travail quotidien et celles concernant le fonctionnement général et la gestion. Il faut donc se réunir périodiquement. A priori, rien n’empêche que tout le monde participe à tout. C’est évidemment indispensable pour ce qui concerne la gestion et le fonctionnement généraux. Cela peut l’être moins en ce
qui concerne le travail quotidien, notamment en ce qui concerne la réalisation d’une tache précise. Il peut être utile de ne pas introduire trop de lourdeur et passer son temps en réunion.
Si on s’imagine souvent qu’en autogestion, on passe son temps à se réunir et à voter, ce n’est le plus souvent pas nécessaire. L’organisation du travail quotidien nécessite de se réunir hebdomadairement, mais ne nécessite aucun vote. Les nécessités du travail et le sens des responsabilités de chacun suffisent pour que les choses aillent presque de soi. Si un problème ou un désaccord surgissent, on en discute, on argumente, et
les choses avancent.

En ce qui concerne le fonctionnement général, les principes, on peut penser qu’un vote est nécessaire. Avec même des quorums et des niveaux de majorité différenciés selon le type de décision. À chacun de voir. Certains préfèrent le fonctionnement au consensus : tant que
quelqu’un n’est pas d’accord avec une décision, on discute ; la décision n’est prise que lorsque plus personne ne s’y oppose totalement (par exemple les
derniers opposants disent : « je ne suis pas d’accord, mais je ne m’oppose pas à ce que cela se fasse. »).
Un certain formalisme démocratique peut néanmoins avoir des avantages. Mais le vote à bulletin secret ne résout rien. Peut-être permet-il d’exprimer ses arrières pensées, mais il n’y a en réalité pas d’autres solutions que d’aborder explicitement les questions et de rediscuter collectivement des normes communes et de leurs conséquences pratiques.

Reste enfin l’« urgence », la décision qui doit être prise immédiatement. Il suffit de la prendre. Chacun en comprendra la nécessité. Si quelqu’un conteste la nécessité, l’urgence, on en discute et les règles de l’urgence et de la nécessité sont précisées.

Et si certains refusent de s’exprimer ou de prendre des décisions ?

Il peut arriver qu’ouvrir à tous la parole et la prise de décision ne suffise pas pour que chacun s’exprime et participe. Par timidité, par complexe, par manque d’assurance ou tout simplement d’idées, certains
ne prennent pas toute la place qu’ils pourraient occuper au sein du collectif. Ce n’est pas si grave tant que l’ouverture demeure et que la parole de la personne est constamment sollicitée par les autres et que ceux-ci ne finissent pas par prendre l’habitude de ne plus considérer la personne dans la discussion et la prise de décision. Mais il faut aussi que ce silence ne corresponde pas à un désinvestissement de la personne qui soit de fait un refus de la prise en charge collective en laissant aux autres le soin de régler les problèmes. Encore une fois tout le
monde doit s’interroger sur les raisons des différences d’investissement qui peuvent, si l’on n’y prend garde, miner profondément le principe autogestionnaire.

Informer,comprendre, former

Le plus important n’est peut-être pas les règles formelles de prise de décision mais l’information et la compréhension des problèmes posés. Pour prendre des décisions collectives et adéquates, il faut que tout le monde soit au courant de tout et pense à tout. La circulation de l’information est donc fondamentale. Les réunions et leur compte-rendu y pourvoient, mais également l’échange dans le travail quotidien. Cela est évidemment favorisé lorsque les tâches ne sont pas accomplies individuellement.

Cette circulation de l’information ne suffit pas en ce qui concerne la gestion globale de l’entreprise. Peu de gens sont formés à ces questions, savent lire des états comptables et de gestion et peu de gens en ont le goût spontanément. Dans ce domaine, c’est une véritable formation qu’il faut organiser, même si les résultats sont longs à venir. Le point est crucial. On ne peut se contenter de voir là une fonction technique transparente. Elle est au contraire source de toutes les dérives.Y compris sans la moindre mauvaise intention. La personne
qui connaît la gestion peut devenir comme «naturellement » leader, celui en qui on a confiance. Cela n’est pas répréhensible en soi. L’autogestion est même fondée sur la confiance réciproque. Mais, outre le risque de dérive de prise de pouvoir, c’est de la responsabilité collective de l’entreprise qu’il s’agit. Responsabilité qu’en outre « celui qui s’y connaît » ne souhaite peut-être pas assumer individuellement. D’où la nécessité que tout le monde s’y mette pour bien avoir conscience des enjeux de gestion.

Ce que tout le monde doit savoir

Tous dans la structure n’atteindront pas un degré de compétence complet sur les outils de suivi de gestion. Ce serait idéal, mais c’est rarement le cas. Pourtant, l’un de ces outils doit être compris et intégré par tous pour un bon fonctionnement autogestionnaire.

Il s’agit de l’exploitation. C’est l’outil qui est le reflet le plus complet de l’activité économique de la structure et de sa viabilité fondamentale. Il est donc impératif que tout le monde le comprenne. Ce n’est d’ailleurs pas si difficile : l’activité amène des recettes, mais nécessite des dépenses (salaires et charges
sociales bien sûr, mais aussi loyer, électricité, matières premières, etc.) ; l’exploitation fait l’état pour une période donnée (un an) de ces recettes (produit) et de ces
dépenses (charges). Elle permet de suivre si l’équilibre est maintenu entre les deux.

Surtout, la bonne compréhension partous de l’exploitation permet à chacun d’avoir constamment à l’esprit que chacun
de ses actes influe sur les comptes. Dans un restaurant, par exemple, si tel plat est vendu 10 euros, cela veut dire
qu’il ne doit y avoir que 3 euros de matières premières ; il faudra donc veiller à l’épaisseur de la tranche de viande. Dans une activité de services, si telle prestation est payée 50 euros, cela veut dire que le salaire net prévu est de 15 euros ; si le salarié est payé 10 euros net
de l’heure, il faudra qu’il veille si possible à ne pas faire le travail en plus d’une heure et demie.

C’est d’ailleurs ces exemples concrets qui seront le meilleur support de l’apprentissage par tous de la gestion. La mise au point, avec la participation de tous, de tarifs ou de devis facilite l’apprentissage et l’entretien de la compréhension du fonctionnement économique de la structure. Il faut donc tous se mettre autour de la table et se poser toutes les questions :
combien de matière première pour ce produit ? combien de temps de travail direct ? quelle part de coûts indirects
(loyer, matériel, temps de travail indirect, etc.) ? quel coût global ? quel est le “ prix du marché ” ? quelle marge peut-on dégager ? Sinon, y a-t-il une autre solution
en modifiant l’un des éléments ?

Cela peut paraître lourd et fastidieux. Certains, peut-être, paraîtront ne jamais comprendre. En réalité, tous progresseront, à leur rythme, et surtout tous auront profondément conscience que l’équilibre économique doit être une préoccupation constante, que « l’argent ne tombe pas du ciel ». La responsabilité collective de la structure s’en trouvera renforcée. Ce seul résultat s’avère vite inestimable. Ajoutons que cet exercice constitue également un excellent moment de partage et de transmission des savoirs sur le travail, en particulier si
celui-ci est parcellisé.

A qui appartient une structure autogérée ?

Dans nos sociétés, la propriété juridique est source de pouvoir absolu sur le bien possédé. Il y a donc une condition préalable indispensable de cette autogestion radicale et immédiate : la propriété collective et égalitaire de la structure. Il s’agit avant tout que la structure n’appartienne pas à quelqu’un d’autre que ceux
qui y travaillent ni qu’elle appartienne plus à certains qu’à d’autres. Il s’agitsurtout de neutraliser toute possibilité de prise de pouvoir extérieure ou intérieure
plutôt que d’assurer à chacun une possession. Se pose bien sûr la question de l’apport des capitaux nécessaires au fonctionnement de l’entreprise : tout le monde n’en a pas les moyens. Cela peut constituer une véritable objection dans nombre de cas. Mais cela ne l’est pas dans nombre d’autres. L’ampleur de l’investissement nécessaire dépend évidemment du type de projet économique. Une activité de service demande moins de capitaux qu’une activité industrielle, mais il est toujours possible de commencer
petit.

Il est bien sûr difficile de définir un seuil précis. Certains ont plus de disponibilités que d’autres. Mais les emprunts existent, aux familles, aux amis, aux banques. Ils
peuvent être remboursés par un prélèvement plus ou moins modeste sur les rémunérations. On peut également commencer
modestement et réaliser une accumulation de capital progressive. Enfin, plus d’un Français sur deux est propriétaire de son logement ; il a souvent pour
cela économisé sur un plan d’épargne logement et emprunté ensuite des sommes importantes. Peut-être certains pourraient s’interroger sur cet indispensable accès à la propriété du logement et sur ce dispensable accès à la propriété de son outil de travail ? Consacrer quelques
centaines d’euros pendant quelques temps à la propriété de son outil de travail peut paraître essentiel et pas hors de
portée. L’essentiel pendant cette période est de veiller à une scrupuleuse égalité de la répartition de la propriété.

Faut-il se jeter tout de suite à l’eau ?

Comment fait-on ?

On fait. Do it pour reprendre le slogan de Jerry Rubin honteusement récupéré par Nike. On décide la suppression immédiate et complète de toute inégalité, de toute hiérarchie et de toute division. Et l’on voit. Une sorte d’An 01 aussi.

Il n’y a a priori aucune raison d’envisager une « période de transition » qui aurait pour but que chacun s’adapte à la situation nouvelle. Il peut sembler que l’abandon de rémunérations élevées pour certains, la prise de responsabilité très lourde pour d’autres nécessiteraient une évolution lente. On commencerait par une réduction de la hiérarchie des salaires, l’élection du patron, etc. En fait, le risque est grand d’un rapide retour en arrière, car, à la moindre difficulté, chacun est susceptible de se replier sur ses positions antérieures. Nous choisissons plutôt de “ brûler nos vaisseaux ”, de se jeter à l’eau. Mais après tout, le suffrage universel a mis plus de 150 ans pour être effectif en France et le suffrage censitaire puis masculin n’ont pas entraîné de retour en arrière. Donc, chacun fait comme il veut, il peut, il sent.

L’égalité des rémunérations, l’absence de hiérarchie et de division du travail ne suppriment pas toutes les questions qui se posent dans les entreprises traditionnelles. Simplement, elles contraignent à les aborder autrement. Fondamentalement, la question est : puisque par principe nous sommes tous strictement égaux, comment faire pour que chacun apporte le mieux qu’il peut ? C’est-à-dire travaille du mieux qu’il peut et prend en charge l’ensemble du mieux qu’il peut. Sachant que l’on a comme outils que la coopération, la confiance et la persuasion.
On verra rapidement que ce n’est pas plus difficile et traumatisant et pas moins efficace que la compétition et le rapport de force. Et ni plus “ idéologique ” ni
moins “ pragmatique ”.
Dans un groupe autogéré, il faut que chacun puisse participer de la même manière à la prise de décision, sans hiérarchie aucune. Mais il ne suffit pas de décréter la disparition du chef pour que le pouvoir disparaisse. Il s’agit donc d’organiser concrètement l’égalité de tous. Gérer une entreprise autogérée c’est gérer de la coopération et de la confiance.

Faut-il écrire ses principes ?

Il ne s’agit pas bien sûr de sombrer dans un formalisme excessif. D’autant plus qu’il ne protège que de peu de chose. Se réfugier, en cas de désaccord important, derrière des statuts qui ont tout prévu ne résout rien.Tout juste cela peut-il et doit-il contraindre à trouver une solution collective.
Pour autant, fixer clairement les règles de base du fonctionnement de manière à ce qu’elles soient compréhensibles et sans ambiguïté pour tous est indispensable. Que ces règles soient écrites ou pas
importe peu. Il suffit qu’elles soient suffisamment claires pour pouvoir être écrites. Ce n’est qu’au niveau des modalités plus concrètes qu’une certaine faculté
d’adaptation peut être nécessaire.

Mais il n’est pas plus mal que, même si cela peut être modifié ou « souplement» appliqué, cela soit tout à fait clair donc« écrivable ».

Le fonctionnement autogéré est-il plus important que ce
que l’on met en oeuvre ? Jusqu’où aller dans l’autogestion ?

Tout dépend du projet. S’il s’agit d’abord d’une envie autogestionnaire, le choix de l’activité économique dans une certaine mesure importe peu. Seul compte sa viabilité et son organisation en adéquation avec un fonctionnement
autogéré. En revanche, il peut arriver que le fonctionnement autogéré ne soit que le corollaire ou une envie secondaire annexée à un projet d’un autre ordre : militantisme politique, action humanitaire, culturelle, projet de sauvegarde de l’environnement, de développement
local, de travail social, etc. Dès lors toutes les gradations sont possibles dans le refus du pouvoir et des hiérarchies (des fonctions, des salaires, des compétences, du capital, etc.). L’autogestion n’est exclusive d’aucune action ou revendication autre et porte en lui des fondements politiques qui sont déjà suffisamment ambitieux et révolutionnaire pour suffire à remplir son militantisme.